Lors de sa dernière session à Genève, la Commission du droit international (CDI) a inauguré les discussions sur son nouveau projet sur le règlement des différends auxquels les organisations internationales (OI) sont parties. C’est la cinquième fois que la CDI se concentre sur les OI, après ses projets sur la responsabilité internationale, la représentation des États, le statut, les privilèges et immunités et le droit des traités. L’importance absolue de ce nouvel effort et les résultats mitigés de ses précédentes tentatives appellent une analyse préliminaire des promesses et des écueils.
Le sujet en bref
En 2016, Michael Wood a proposé d’inclure le thème « Le règlement des différends internationaux auxquels les organisations internationales sont parties » dans le programme de travail à long terme de la CDI. Dans son syllabus, il s’est penché sur « l’accès restreint des organisations internationales aux modes traditionnels de règlement des différends internationaux » et sur les barrières de recevabilité des plaintes portées par et contre elles.
En 2022, la CDI a décidé (paragraphe 238) d’inscrire ce sujet à son programme de travail actuel et a nommé August Reinisch Rapporteur spécial (RS). Il a remis son premier rapport en février 2023 couvrant les projets précédents, la portée et les résultats des travaux, les questions de définition et son futur programme de travail. En mai, le Comité de rédaction a proposé quelques amendements à l’adoption de deux projets de lignes directrices sur la portée et l’utilisation des termes.
promesses
D’après le programme de Michael Wood, on peut s’attendre à quatre résultats. Premièrement, la CDI pourrait élaborer sur le rôle des tribunaux permanents. De toute évidence, les OI ne peuvent pas être parties à une procédure devant la Cour internationale de justice (CIJ). Seul le Tribunal international du droit de la mer est ouvert à une seule OI, l’Union européenne, qui n’a été partie à qu’une seule affaire, et réglée à l’amiable. Ainsi, la CDI pourrait se concentrer sur une proposition d’amendement du Statut de la CIJ, élaborée sur la pratique des avis consultatifs dits « contraignants » (par exemple, article VIII, section 30), et/ou rédiger le statut d’un nouveau tribunal ( comme il l’a fait pour la Cour pénale internationale).
Deuxièmement, Michael Wood a mentionné l’arbitrage international. Il existe plusieurs traités bilatéraux conclus par les OI qui incluent des clauses d’arbitrage, mais seulement une poignée de cas dans le domaine public (para. 20). La CDI pourrait se concentrer sur la rédaction de clauses arbitrales et de règles de procédure.
La troisième question concerne les mécanismes non juridiques tels que l’enquête, la médiation et la conciliation. Celles-ci couvrent les mécanismes institutionnels sans résultat contraignant, tels que les médiateurs et les organes tels que le Panel d’inspection de la Banque mondiale. L’ILC pourrait identifier les meilleures pratiques, établir des normes minimales internationales et/ou même rédiger les règles de procédure des mécanismes institutionnels.
Enfin, la quatrième question mentionnée par Michael Wood concerne la recevabilité des réclamations nées après la mise en place d’un mécanisme de règlement des différends. Cela concerne principalement l’application des règles coutumières concernant la protection diplomatique et l’épuisement des voies de recours internes. L’ILC pourrait concentrer ses travaux sur le transfert de ces règles du domaine des États vers celui des OI.
Piège I : sortie
Le principal obstacle au projet sera la réaction des OI. Ils ont particulièrement critiqué le projet sur la responsabilité internationale et on peut s’attendre à la même réaction contre la proposition de cadres généraux pouvant conduire à rendre compte de leur action. SR Reinisch est particulièrement soucieux (paragraphe 27) de fournir un résultat qui sera bien accueilli et non ostracisé par les OI. Il a reconnu leur diversité et a souligné que « l’adoption d’un résultat uniforme, en particulier sous la forme de projets d’articles, pourrait ne pas être appropriée ». Il s’agit d’un changement de stratégie intéressant pour l’engagement de l’ILC avec les OI, qui a un impact important sur le résultat proposé.
En particulier, SR Reinisch a soutenu que la CDI ne devrait pas élaborer de nouvelles dispositions et limiter son champ d’application « pour analyser les Status Quo et de faire des recommandations soigneusement pondérées pour le règlement des différends susceptibles d’être prises en considération par l’ensemble de la population ». Conformément à la pratique récente de la Commission, il propose d’élaborer un ensemble de lignes directrices, «un vade mecumune « boîte à outils » dans laquelle [addressees] devrait trouver des réponses aux questions pratiques » (p. 36, par. 4). Après s’être concentré sur les sources du droit international (réserves, droit coutumier, juste cogens, pour n’en citer que quelques-uns), la CDI étend sa « codification par interprétation » aux questions concernant les acteurs non étatiques. La raison apparente est de rassurer les OI sur la nature de recommandation de son travail et de rechercher leur engagement, mais il pourrait être difficile d’adapter cette approche à un domaine nécessitant un développement progressif, dans lequel il n’y a pas grand-chose à interpréter.
Malgré la capacité de l’ILC à rédiger les meilleures lignes directrices possibles, le succès du projet dépendra des réactions des OI et de la pression de la société civile pour enfin adopter des mécanismes efficaces de règlement des différends. Les OI peuvent saluer l’approche prudente adoptée par SR Reinisch, mais il peut être difficile de trouver un équilibre entre la satisfaction des demandes des OI et la fourniture d’un résultat utile. L’engagement des OI sera essentiel pour la réussite du projet, mais il peut aussi représenter son défi le plus redoutable.
Piège II : litiges de caractères de droit privé
Le premier rapport de Reinisch est délibérément ouvert sur la portée des travaux, reportant à une future décision de la Commission les types précis de différends qui devraient être traités (paragraphe 19). Tirant les leçons des critiques passées concernant l’engagement des OI avec la CIT, la première étape du RS a été de leur demander (et aux États) quel type de différends ils ont rencontrés, en distinguant : « a) les différends entre organisations internationales, b) les différends entre des organisations internationales et des États et c) des différends entre des organisations internationales et des parties privées, y compris des particuliers et des personnes morales, telles que des sociétés ou des associations ». Il semble que leurs réponses seront essentielles pour déterminer la portée précise du projet.
L’inclusion des différends entre les OI et les sujets privés (également désignés par la CDI sous le nom de «caractère de droit privé») a été explicitement mentionnée par l’Assemblée générale (para. 238), après que le programme de Wood ait renvoyé son inclusion à une future décision de la Commission (para 3). SR Reinisch partage l’importance d’inclure cette catégorie, qui représente les types de différends les plus fréquents impliquant des organisations internationales. La CDI a même accepté d’éliminer l’adjectif « international » du nom du projet, indiquant son intention de discuter de toutes sortes de différends (projet de directive 2 (b)).
Cependant, l’utilisation de l’expression « caractère de droit privé » peut prêter à confusion, surtout si elle est assimilée à « litige avec des parties privées ». Le questionnaire envoyé aux États et aux OI (paragraphe 7) définit cette catégorie comme comprenant les litiges contractuels avec des prestataires de services ou d’autres marchés publics (qui relèvent très probablement du droit national), les conflits du travail avec les employés (traditionnellement considérés comme le droit institutionnel) et les litiges extracontractuels causés par des activités préjudiciables imputables aux organisations internationales (probablement en vertu du droit international des droits de l’homme, mais aussi en vertu de certaines règles institutionnelles, le cas échéant). Dans le contexte actuel d’impunité pour les activités des organisations internationales portant atteinte aux individus, cette dernière catégorie va être la plus difficile mais aussi la plus importante du projet.
Le «caractère de droit privé» fait référence à l’obligation incluse dans la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies (ONU) de prévoir des modes de règlement appropriés pour les «différends résultant de contrats ou autres différends de droit privé auxquels les Nations Unies Nations est partie » (article VIII, section 29). Cependant, l’ONU a rejeté une demande d’indemnisation des résidents des camps de personnes déplacées pour les activités préjudiciables attribuées à l’organisation parce qu’elles « ne constituent pas des réclamations de droit privé et, en substance, équivalent à un examen de l’exécution du mandat de la MINUK ”. Il a utilisé le même argument pour rejeter les demandes de réparation pour l’épidémie de choléra en Haïti. Dans ce contexte, une définition de la CDI de ce qui constitue un différend de droit privé sera extrêmement importante.
Piège III : lex specialis
Sans avoir besoin d’une boule de cristal, les OI souligneront qu’elles sont trop diverses pour identifier des lignes directrices valables pour tous et que les régimes institutionnels sont lex specialis par rapport à tout ce que l’ILC pourrait produire (par. 26). Ils exigeront l’inclusion d’une mise en garde au début de l’ensemble de lignes directrices pour souligner la primauté des régimes institutionnels et désamorcer toute recommandation pouvant impliquer un contrôle externe (et une responsabilité) de leurs actions.
Les OI abusent du lex specialis argument en l’absence d’un débat théorique sur leur nature juridique. Par exemple, le Fonds monétaire international s’est référé à l’absence d’un ordre institutionnel distinct du droit international pour exclure toute pertinence des articles généraux de la CDI sur la responsabilité en faveur de la primauté de son ordre institutionnel lex specialis (p. 9, par. 2). À l’inverse, l’Union européenne (UE) s’est appuyée sur le développement d’un système juridique particulier et autonome pour affirmer que (paragraphe 18) des règles d’attribution spéciales (applicables également contre les non-membres) devraient s’appliquer pour « transformer » la conduite des États membres en Conduite de l’UE.
Ces arguments incohérents ne peuvent être abordés sans aborder la théorie juridique et la capacité des OI à développer des systèmes juridiques séparés mais liés au droit international. A l’inverse, la CDI s’enlise dans des problèmes de définition en reproposant le débat (p. 4) sur la question de savoir si la personnalité juridique internationale doit figurer parmi les éléments essentiels des OI. Il n’aborde pas les implications théoriques de la nature juridique des OI, qui éclairent des questions pratiques fondamentales telles que leur capacité à déroger au droit international.
Il ne fait aucun doute que les institutions lex specialis n’affecte pas les différends impliquant des États non membres en l’absence de leur consentement. Par exemple, la répartition des compétences de l’UE ne peut pas affecter les différends avec un État tiers pour pêche illégale, comme l’a soutenu le TIDM. Dans ce contexte, la création de mécanismes internationaux de règlement des différends ouverts aux OI reste la priorité.
Les régimes institutionnels peuvent imposer ou non l’obligation de soumettre les différends avec/entre les États membres à des mécanismes institutionnels. La CIJ a entendu des affaires impliquant des actes de l’OACI en tant que différends bilatéraux, tandis que les États membres de l’UE ont l’obligation de ne pas soumettre un différend concernant l’interprétation ou l’application des traités de l’UE à des mécanismes non institutionnels de règlement des différends (article 344). Il n’y a pas a priori règle en vertu de laquelle tous les différends impliquant un État membre doivent être réglés dans le cadre du régime institutionnel, et des mécanismes de règlement des différends tant institutionnels qu’internationaux pourraient être disponibles.
Concernant les litiges avec des sujets privés, ils peuvent relever de mécanismes institutionnels ou internationaux (ou des deux) selon le droit applicable. Dans ce contexte, la CDI a le pouvoir d’identifier les normes internationales minimales des mécanismes institutionnels de règlement des différends, en particulier concernant les mécanismes sous-développés ou inexistants pour régler les différends avec les individus.