Bien que l’assouplissement continu des règles en matière d’aides d’État ait sans aucun doute offert un moyen précieux de faire face aux situations d’urgence, quelles en sont les implications pour le marché intérieur ?
(Encore un autre) cadre temporaire
Le 9 mars 2023, la Commission européenne a publié le «Cadre temporaire de crise et de transition» visant à élargir les possibilités d’octroi d’aides d’État pour soutenir davantage la transition vers la neutralité climatique. Ces modifications du cadre temporaire actuel – introduites en mars dernier pour faire face aux conséquences économiques causées par l’agression de la Russie contre l’Ukraine – font partie du « Green Deal Industrial Plan for the Net-Zero Age Deal » (présenté le 1er février). Celui-ci a été conçu pour accroître l’attractivité de l’UE pour les investissements dans les technologies vertes et les produits à émission nette nulle en vue de poursuivre le pacte vert européen et de compléter la stratégie industrielle de l’UE. Ce plan répond cependant également à la nécessité de contrer l’Inflation Reduction Act, l’initiative américaine qui, en mobilisant 370 milliards de dollars d’investissements, marque l’action la plus importante prise par le Congrès sur les énergies propres et le changement climatique.
Quoi de neuf?
Les modifications concernent les sections 2.5 et 2.6 de l’encadrement temporaire actuel, qui contiennent les mesures visant à réduire la dépendance aux combustibles fossiles russes et à faciliter la transition verte sur la base de l’art. 107(3)(c) du traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE), ainsi que l’introduction de dispositions entièrement nouvelles (section 2.8) pour accélérer les investissements dans les secteurs stratégiques, compensant ainsi les conséquences des incitations américaines. Il convient également de noter que le délai initial a été prolongé de deux ans (31 décembre 2025), à l’exception des mesures relatives aux montants d’aide limités, au soutien de la liquidité, à la compensation des prix élevés de l’énergie et au soutien à la réduction de la demande d’électricité.
L’exception est-elle devenue la nouvelle règle ?
L’adoption de mesures temporaires dérogatoires aux règles en matière d’aides d’État est devenue la pratique de la Commission depuis la crise financière et économique de 2008 puis à nouveau avec la pandémie de Covid-19. Par conséquent, il n’est pas surprenant que la Commission ait agi rapidement pour mettre en place un cadre temporaire après l’agression de la Russie contre l’Ukraine et ait maintenant choisi d’utiliser le même instrument. Le bouleversement politique et économique provoqué par cet événement a sans doute révélé un nouveau déséquilibre au sein de l’UE. Pour faire face aux conséquences difficiles de cette situation, un renforcement de l’industrie européenne par des financements publics apparaît nécessaire. En outre, il est également vrai que sans une action coordonnée au niveau de l’UE, seuls les États dotés d’économies plus robustes seraient en mesure de relever un tel défi. Cela entraînerait le danger d’une fragmentation du marché unique (et l’intention de la Commission semble précisément d’éviter un tel scénario).
Cependant, tout en visant un cadre des aides d’État « plus simple, plus rapide et plus prévisible », la Commission continue d’assouplir les règles de contrôle des aides d’État – identifiées depuis le rapport Spaak de 1956 comme l’une des politiques fondamentales pour la création du marché commun – en transformant les cadres temporaires d’instruments conçus précisément comme « transitoires » en des cadres « quasi permanents ». Le risque est que ces mesures, conçues comme des exceptions au cadre ordinaire, deviennent en fait la nouvelle règle (en considérant également la durée jusqu’en 2025).
Attention au risque de fragmentation du marché intérieur
Les inquiétudes concernant l’intégrité du marché intérieur sont en effet plus que justifiées, puisque tous les États membres n’ont pas été en mesure d’offrir des subventions dans la même mesure jusqu’à présent.
Si la promotion des énergies renouvelables et la décarbonation de l’industrie constituent sans aucun doute des objectifs souhaitables, il convient néanmoins de se demander si cette extension répétée de disciplines exceptionnelles risque ou non d’avoir de graves répercussions. D’une part (et d’un point de vue systémique), si l’exemption étend de plus en plus son champ d’application, l’interdiction des aides d’État aux entreprises en vertu de l’article 107, paragraphe 1, du TFUE pourrait être remise en cause quant à l’applicabilité du principe d’incompatibilité en tant que règle générale. En revanche, dans un scénario de crise, seuls les États disposant de ressources financières plus importantes pourront investir plus significativement dans ces secteurs émergents, tandis que les États plus faibles ont tendance à concentrer leurs efforts sur le sauvetage des entreprises individuelles (souvent déjà en difficulté). Enfin, étant donné que l’encadrement permet de combiner les mesures d’aide adoptées avec celles déjà approuvées au titre de l’encadrement temporaire Covid-19, un éventuel chevauchement de différentes mesures d’aide pour les mêmes besoins de liquidité des bénéficiaires peut également être problématique, en plus de l’incertitude que la modification constante des règles et de leurs exigences peut entraîner pour les entreprises.
Remarques finales
Globalement, il faut toujours rappeler que le système de règles européennes de concurrence est une garantie importante dans une perspective de compétitivité, d’où la nécessité d’une extrême prudence pour ne pas mettre en péril les piliers de la structure. Une question plus large (qui ne doit certainement pas être sous-estimée) est de savoir si une reconsidération du système, du rôle des gouvernements et par conséquent des règles de concurrence, est nécessaire en raison de la pandémie et des défis actuels à court et à long terme, y compris le prix de l’énergie l’inflation, la sécurité et le changement climatique.
Dans ce contexte, il sera intéressant d’évaluer comment la Commission entend développer la proposition de Fonds européen de souveraineté, en tant que réponse structurelle aux besoins d’investissement, dans le cadre de la révision du cadre financier pluriannuel avant l’été 2023. Une telle proposition pourrait peut-être représenter un instrument complémentaire et pourtant alternatif à la délivrance continue d’encadrements temporaires, visant à atteindre le même résultat, tout en préservant plus efficacement la cohésion et le marché intérieur des risques pouvant résulter d’une disponibilité inégale des mesures de soutien public par les États membres .